Diversité au sein de la profession de journaliste : quelles évolutions en 10 ans ?
La société belge se diversifie, mais le secteur journalistique accuse un retard certain. Ainsi, pour ne prendre que cet exemple, si ces tendances se poursuivent au même rythme, la parité de genre dans les rédactions ne sera atteinte… qu’en 2064.
Dix ans après notre première étude sur la diversité parmi les journalistes, leur portrait-type a-t-il évolué ? Non, il s’agit toujours d’un homme universitaire blanc de 47 ans. C’est ce qu’il ressort de la nouvelle étude sur la diversité au sein de la profession de journaliste, de l’Observatoire de recherche sur les médias et le journalisme (ORM) de l’UCLouvain et de l’AJP, financée par la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Elle permet d’évaluer les (non)évolutions de la profession en termes de diversité – qu’elle soit de genres, d’origines, sociale, culturelle, idéologique – sur une période de dix ans. 538 journalistes ont répondu à l’enquête, entre le 31 mai et le 14 juillet 2023. De plus, dix entretiens avec des responsables de neuf rédactions belges francophones ont été réalisés entre octobre et décembre 2023, dans le but d’appréhender les discours managériaux sur la mise en place de politiques de gestion de la diversité. Ces entretiens constituent une nouveauté par rapport à l’édition de 2012.
Une profession uniforme
Les résultats de l’étude ont été présentés ce 3 octobre 2024, à la Tour de plomb à Bruxelles, en présence des chercheurs de l’ORM, Olivier Standaert et Grégoire Lits. Les deux professeurs de l’École de journalisme de Louvain (EjL) ont successivement évoqué : le phénomène de « leaky pipeline » (ou « tuyau percé ») qui laisse les femmes journalistes s’échapper de la profession, la diversité d’origine de la population journalistique qui ne suit pas l’évolution du reste de la société belge, ou encore la diversité idéologique politique des journalistes, qui est le seul indicateur dans l’étude avec une réelle diversité d’opinions par les répondant∙es. Tous les résultats de l’étude sont disponibles en ligne : www.ajp.be/diversite.
Au-delà de la comparaison quantitative des résultats, l’étude questionne également la perception des journalistes et de leurs responsables hiérarchiques quant aux enjeux de la diversité. Olivier Standaert a souligné le manque de prise en charge de ces questions spécifiques au sein de tous les médias, notamment à cause de la difficulté d’en faire un enjeu-clé dans des entreprises en évolution permanente. Si le secteur confirme l’importance des questions de diversité, il reconnaît qu’elles ne sont pas prioritaires.
Un manque de moyens donnés à la diversité
La présentation des résultats a été suivie d’une discussion avec Stéphanie Meyer (rédactrice en chef adjointe BX1), Aurore Mudiayi Bukassa (Newsmanager et manager Diversité et Inclusion Belga), Claire Godding (Senior Expert Diversité et Inclusion chez Febelfin) et Fatima Zibouh (experte sur la diversité, l’inclusion et la discrimination), à propos de pistes à suivre pour se diriger vers un monde médiatique plus inclusif. Engager des consultant∙es, former des groupes de travail et des personnes de confiance, organiser des formations, rédiger une charte, sont des premières solutions qui ont été mises en place dans certains médias, tels que BX1 et Belga. Néanmoins, les deux journalistes présentes à la table-ronde ont pointé la nécessité d’accorder davantage de temps et de budget pour amener plus de diversité dans leur rédaction. Parmi les difficultés rencontrées, elles évoquent aussi le travail sur les mentalités de leurs confrères et consœurs, voir le scepticisme de certain∙es face à l’importance de ces enjeux.
La conscientisation de l’entourage professionnel est essentielle pour avancer sur ces questions. Pour Claire Godding, il est nécessaire de travailler au niveau sectoriel : en matière de genre par exemple, il faut identifier là où le tuyau est percé, niveau par niveau, département par département, puis rassembler tous∙tes les responsables hiérarchiques dans la même salle pour travailler conjointement sur les questions de diversité. Fatima Zibouh, elle aussi, a insisté sur le rôle fondamental des directions. Elle invité également à questionner les canaux de recrutement, ainsi que l’uniformité présente dans les écoles de journalisme.
Les défis à relever pour une meilleure inclusion des femmes, des personnes issues de minorités culturelles et sociales, ainsi que des personnes en situation de handicap, demeurent nombreux et doivent être pensés au-delà du moment de l'entrée dans la carrière, pour que les efforts de recrutements puissent avoir un impact durable sur l’évolution des profils présents dans les rédactions.