Des médias plus inclusifs, ça passe aussi par le langage
Alors qu’en France on s’étrille, en Fédération Wallonie-Bruxelles, nous avons un décret depuis deux ans ! Et il nous semblait important de (re)pointer l’importance du langage dans la lutte contre les discriminations sexistes.
L’emploi de la forme masculine en tant que forme neutre renvoie inconsciemment à des figures masculines, non diversifiées. L’écriture inclusive a ainsi pour but de rendre les femmes et les personnes non-binaires visibles dans la société. Si l’on prend l’exemple des femmes, celles-ci représentent 50,7% de la population belge1, mais en parallèle, elles sont minoritaires dans nos médias : 21,08% dans la presse quotidienne2, 39,35% en télévision3 et 36,26% en radio4. Or, si les femmes ne se retrouvent pas dans les médias, elles ne les consulteront pas, ou peu. Valoriser leur présence, c’est aussi élargir son public.
Leur présence passe alors par le fait de les nommer : les femmes sont aussi des cheffes d’entreprises, des chercheuses, des habitantes, des téléspectatrices, etc. ; les personnes non-binaires sont aussi des dirigeant∙e∙s, des spécialistes, des lecteurices, etc. Les omettre, c’est véhiculer des stéréotypes, c’est donner l’image d’un monde masculin, et c’est donc invisibiliser plus de la moitié de la société.
Comment appliquer l’écriture inclusive ?
Les pratiques d’écriture inclusive sont en constante évolution. Les plus communes sont déjà dans notre langage courant et utilisées dans la plupart de nos médias. Le décret du 14 octobre 2021 de la FWB5 renforce la féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre, ainsi que les bonnes pratiques non discriminatoires quant au genre dans le cadre des communications officielles ou formelles. La féminisation a ainsi fait son chemin dans les usages linguistiques : certaines formes féminines ont été adoptées depuis longtemps (directrice, assistante, coiffeuse, institutrice) et d’autres sont plus récentes (autrice, cheffe, professeure). Néanmoins, dans son dernier guide de 20146, la FWB indique que la féminisation n’est pas généralisée pour tous les noms de métiers, ni dans tous les secteurs professionnels, notamment dans les mondes de la justice ou de l’armée.
Une autre pratique employée couramment dans nos médias est celle de la double flexion. On cite alors les deux genres afin de les représenter tous les deux dans l’imaginaire du public. Cela peut être fait dans l’ordre alphabétique par exemple : « les étudiantes et les étudiants », « les chercheurs et les chercheuses », « les citoyennes et les citoyens », « les formateurs et les formatrices », etc.
Il est possible d’employer des termes épicènes ou des expressions englobantes neutres, dont la langue française est riche ; par exemple « des élèves » plutôt que « des étudiants », ou encore « tout le monde » plutôt que « tous∙tes »7. Les formules doubles et les termes épicènes sont d’ailleurs à privilégier dans le décret de la FWB de 2014.
Une méthode que l’on voit également se développer de plus en plus – et qui fait le plus polémique – est le point médian : « ∙ ». Celui-ci permet d’accoler les deux suffixes, masculin et féminin, à la racine d’un mot. Par exemple, au lieu d’évoquer « les auteurs » pour désigner des auteurs et des autrices, on peut alors écrire « des auteur·rice·s ». À l’oral, il peut être remplacé par la double flexion. Des magazines comme axelle, La Revue nouvelle, Politique utilisent notamment le point médian dans leurs articles. , l’AJP utilise également le point médian dans sa revue Journalistes, ainsi que dans ses communications, rapports et articles.
Cependant, le point médian a encore du mal à trouver sa place dans les rédactions. L’utilisation dans les médias en Fédération Wallonie-Bruxelles est très rare, notamment en raison de l’opposition d’une partie du public et d’une partie des journalistes. Si l’on pointe du doigt la difficulté de lecture qu’entraîne le point médian, certains linguistes affirment toutefois qu’à force de voir cette nouvelle graphie, les lecteur·rice·s s’y habitueront.
Par ailleurs, il est possible d’employer le pluriel de majorité, c’est-à-dire d’accorder selon le nombre majoritaire. On parlerait ainsi « des infirmières » car elles représentent plus de 80% de la profession. Il est aussi parfois question d’appliquer l’accord de proximité, c’est-à-dire d’accorder selon le dernier nom utilisé (« un homme et une femme ont été interviewées »).
Une langue se transforme en fonction de nos évolutions sociétales. Cette écriture inclusive est elle aussi en construction, évolutive et vivante. Et si vous avez encore un peu de mal à l’appréhender, l’AJP organise fréquemment des formations à ce sujet, dans son catalogue, lors de la Summer School, ou à la demande des rédactions.
- Comprendre et utiliser l’écriture inclusive, avec Anoushka Dufeil, le 8 novembre 2023 (inscription obligatoire)
[1] Au premier janvier 2022, selon Statbel
[2] Selon l’Étude de la diversité et de l’égalité dans la presse quotidienne belge francophone (AJP, 2023, à paraître)
[3] CSA (2021), Baromètre Égalité & Diversité – 10 ans, Partie 1 : Tendances générales, 1.0 Le genre, 1.1 Genre sur l’ensemble des programmes, p. 11 (https://www.csa.be/egalitediversite/wp-content/uploads/sites/2/2023/04/CSA_barometre-10ANS-PART1.pdf.
[4] CSA (2019), Baromètre de l’Égalité et de la Diversité, Services radiophoniques, Volume 1. Programmes, 1.0 Le genre, 1.1 Genre sur l’ensemble des programmes, p. 24 (https://www.csa.be/wp-content/uploads/2021/03/Barometre-programmes-2019_pour-publication_3.pdf.
[5] https://etaamb.openjustice.be/fr/decret-du-14-octobre-2021_n2021042965.html
[6] Guide de féminisation des métiers et fonctions, par la Fédération Wallonie-Bruxelles
[7] Voir aussi : https://fedweb.belgium.be/sites/default/files/downloads/folder%20inclusive%20writing%20FR%20final%20v5.pdf